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13 - Rôle et influence de l’Église dans la traite et l’esclavage


Aucune parole divine ne condamnant l’esclavage dans la Bible, le christianisme ne l’interdira pas et aura une attitude longtemps équivoque vis à vis de l’esclavage. Pour tirer profit de la traite, ses papes autoriseront puis approuveront l’esclavage par les Portugais, et sous couvert de la légende de Cham, ils condamneront l’esclavage des Indiens d’Amérique mais accepteront celui des noirs. Ce n’est que progressivement que la condamnation de l’esclavage apparaît dans l’église catholique, complice et bénéficiaire du système, mais elle se limite, le plus souvent, à une condamnation de la traite.


A l’origine, un oubli important

Dans l’Ancien et le Nouveau Testament l’esclavage apparaît comme une pratique naturelle et légitime. Aussi, lors de l’élaboration de la doctrine chrétienne par Paul, le terme d’esclavage n’apparaît pas parce que la soumission à Dieu s’applique à tous les êtres humains. Comme aucune parole divine ne la condamnera, la servitude humaine subsistera.
Devenu religion d'état dans l'empire romain du IV° siècle, le christianisme n'interdit pas l'esclavage et considère toujours maîtres et esclaves comme égaux devant Dieu ; l’Eglise condamne seulement le fait que des chrétiens appartiennent à d'autres chrétiens.

Avec le Moyen Age apparaît le servage et l'esclavagisme disparaît peu à peu en occident mais la possession et la traite des esclaves non-chrétiens, même dans les États pontificaux, n'est toujours pas condamnée. Mais le pire est à venir.

 

L’alliance du Portugal et de l’Eglise

En 1435, alors que les Espagnols se battent avec les Portugais pour la possession des îles Canaries et exploitent leur population, la bulle Sicut-Dudum du pape Eugène IV condamne l’esclavage des habitants noirs, sous peine d’excommunication, mais en Espagne, à cette époque, l’autorité du pape est peu reconnue et la bulle reste sans effet.

A partir de 1441, tout change lorsque les Portugais mènent leurs expéditions maritimes et militaires le long des côtes d’Afrique et capturent les premiers esclaves. Ce premier acte négrier est à l’origine de la traite atlantique (ou occidentale). Des esclaves seront offerts au même pape Eugène IV, qui, à partir de cette époque, va entériner les conquêtes portugaises en Afrique et notamment celles du prince Henri le navigateur, prince du Portugal et précurseur de l’expansion coloniale européenne. Aux yeux des portugais, ces expéditions se justifiaient pour des raisons commerciales et pour contenir l’expansion de l’islam.

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             Calixte III De Las Casas Henri le Navigateur Paul III                   

Quand l’Eglise œuvre pour tirer profit de la traite.

Par une série de bulles, le pape Eugène IV et ses successeurs (Nicolas V, Calixte III et Sixte IV) approuveront les expéditions portugaises, y voyant l’occasion de convertir au christianisme toutes ces populations de païens et Sarrasins incroyants. En échange de la soumission des populations, l’Eglise accordera le monopole commercial de l’Afrique au roi du Portugal, Alphonse V. Ces bulles prendront soin de préciser que ces soumissions salutaires pouvaient passer par l’asservissement, voire par une réduction en esclavage des « nègres de Guinée » et qu’elles devaient être confiées à l’Ordre du Christ, la confrérie d’Henri le navigateur. En plus de ces bulles, l’église chrétienne, par son pape Alexandre VI, organise le partage du monde entre le Portugal et l’Espagne avec le Traité de Tordesillas en 1494.

La prise de position de l’église catholique en faveur de la traite ne sera pas un épiphénomène. Trop contente de disposer de nouveaux territoires d’évangélisation forcée, celle-ci encouragera l’esclavagisme tout au long de la période de la traite négrière.

 

Des bulles, des bulles …

Voici les noms de quelques bulles célèbres (avec les dates et les papes qui s’y rattachent).
1442 Illius qui (Eugène IV) : entérine les conquêtes du prince Henri le navigateur en Afrique
1452 Dum diversas (Nicolas V) : donne au roi du Portugal toute latitude pour soumettre les Sarrasins, païens et autres incroyants, voire les réduire à un esclavage perpétuel.
1455 Romanus Pontifex (Nicolas V) : espère que les populations naturelles soient bientôt converties au christianisme et donne son approbation au monopole commercial des Portugais en Afrique. 
1456 Inter caetera (Calixte III) : affirme que l'administration des nouvelles possessions portugaises et leurs intérêts doivent être confiés à l'ordre du Christ, la confrérie d’Henri le navigateur.
1481 Aeterni regis (Sixte IV) : les terres conquises en Afrique sont accordées au Roi du Portugal.

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Le débat sur l’esclavage des Indiens d’Amérique
Au Brésil, sous souveraineté portugaise, les premières plantations sucrières voient le jour et les Portugais utilisent les indiens comme travailleurs serviles, suivis par les Espagnols en Amérique centrale. Les dominicains s’en émeuvent et la persévérance de Bartolomé de Las Casas pour avoir dénoncé les pratiques des colons espagnols et défendu les droits des Indigènes va payer. En effet, en 1537, le pape Paul III, dans une lettre à l’archevêque de Tolède puis dans une bulle, condamne et interdit l’esclavage des Indiens d’Amérique. Malgré cette bulle, l’esclavage se développera sans gêne jusqu’au XIX° siècle.
Mais pourquoi l’église catholique, qui a aboli l’esclavage des Indiens au XVI° siècle, va accepter celui des Noirs jusqu’au XIX°  siècle ? Parce que la récupération, puis la propagation d’une théorie sans fondement, tirée de la Bible, vont permettre la justification de l’esclavage des noirs.

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           Noé, Cham et ses frères Esclave indien et conquistadors Esclaves et missionnaire           

La légende de Cham ou la justification de l’injustifiable esclavage
Dans la Genèse (ancien testament) un passage relate l'épisode de la malédiction de Cham, un des fils de Noé. Cham aurait aperçu son père nu et passablement éméché et se serait moqué (une autre interprétation dit qu’il l’aurait violé); furieux Noé dit à son réveil : "Que Chanaan (le fils de Cham) soit maudit, et qu'il soit à l'égard de ses frères, l'esclave des esclaves ». Puis les descendants de Cham, devenus noirs, se dispersèrent et peuplèrent l'Afrique.
Il semblerait que l’idée d’identifier les africains aux descendants maudits de Cham, condamnés à jamais à n’être que des esclaves, soit le fait de théologiens musulmans a partir de textes de la Bible, mais aucun texte coranique ne traite de la malédiction de Cham, pas plus que d'une justification de l'esclavage des noirs fondée sur celle-ci. D'une manière générale, on trouve peu de traces sur l'utilisation de ce passage de la Genèse pour justifier l'esclavage; sauf à partir du XVII° siècle où les traces de la légende deviennent plus persistantes, au fur et à mesure que la traite des noirs se développe et qu’émergent la polémique et les mouvements abolitionnistes.
On pense que l’histoire de cette malédiction des noirs par Dieu, colportée pendant le Moyen Age, fut popularisée par l’Eglise et sa légende récupérée à des fins idéologiques : ces lointains africains, païens incroyants, par leur couleur étaient les descendants de Cham, fils maudit de Noé dans la Bible, et devenaient des esclaves par nature.

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Du XVI au XIX° siècle, des arguments idéologiques contre l'abolition
La conversion des esclaves noirs, maudits par Noé et Dieu lui-même, apparaît ensuite comme primordiale. Les négriers avaient donc l’obligation de baptiser les captifs embarqués en Afrique et ces esclaves, noirs et païens, au lieu d’être voués à l'enfer iraient au paradis. Pour certains hommes d'Eglise (et bien d’autres), cet argument était fondamental, et pour eux, les esclaves étaient les bénéficiaires et l’évangélisation justifiait l’esclavage.
Le « Code Noir » de Louis XVI est très clair à ce sujet et stipule dès l’article 2 que : « Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine » et rajoute (article 3) : « Interdisons tout exercice public d'autre religion que la religion catholique, apostolique et romaine ».
Même l’Eglise anglicane a joué un rôle dans l’esclavage via la « Société pour la propagation de la parole dans les contrées lointaines ». D’ailleurs, dans ses plantations à la Barbade, son nom était marqué au fer rouge sur la poitrine des esclaves appartenant à l’église anglicane et parmi les dirigeants de la « Société » on trouvait l’archevêque de Canterbury et les évêques de Londres et de York. Lors de l’émancipation des esclaves, l’Eglise sera même indemnisée pour la perte de ses esclaves dans ses plantations de la Barbade.
A l'époque de la Restauration (1815-1830), et durant les premières années de la Monarchie de Juillet, le clergé des vieilles colonies françaises, craignant les idées libérales et les révoltes d'esclaves, ne participe pas au mouvement abolitionniste et la traite est encore considérée comme une chance, pour les esclaves asservis, de pouvoir suivre l’évangile. L’abbé Rigord, curé à Port Royal en Martinique et anti abolitionniste notoire, écrit encore en 1845 (trois ans avant l’abolition) : « on est porté à considérer la traite comme un fait providentiel (...) Que de milliers de ces malheureux ont trouvé dans la servitude la liberté des enfants de Dieu ».

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D’une manière générale, de Saint Augustin, en passant par Saint Thomas et jusqu’à Grégoire XVI (pape en 1839), la théorie de l’esclavage de Saint Paul et la légende de Cham restera la doctrine officielle de l’Église catholique romaine.

 (Suite...)


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2 "Dames de France" 

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